L’appréciation de l’intérêt de ce projet doit se faire sur des faits objectifs, des connaissances avérées et non sur des intérêts personnels et privés, des envies, des impressions ou des idées reçues.
Préambule : concertation préalable/ vrai débat public
La CNDP a fait le choix d’une concertation préalable pour le projet d’autoroute concédée Poitiers Limoges, sur une durée un peu inférieure à 3 mois.
Compte tenu
– du coût de ce projet, 1 milliard d’Euros, voire plus,
– des impacts qu’il aura sur l’environnement naturel par les 800 ha qu’il modifiera et sur les zones proches,
– du nombre de personnes concernées dans les deux agglomérations de Limoges et Poitiers et sur le territoire traversé, aussi bien par la construction que l’usage de l’autoroute,
– du nombre de personnes, peut être des milliers, qui seront touchées par une perte sur leur patrimoine foncier par achat ou expropriation,
– du nombre de personnes riveraines de l’itinéraire,
ce projet aurait dû faire l’objet d’un vrai débat public d’une durée de 6 mois.
Il faut saluer l’impartialité des garants de la concertation, l’amélioration du dossier qu’ils ont obtenue et leur attention à toutes les contributions et avis fournis par les participants à la concertation.
Dossier de concertation
Le dossier mis à disposition des citoyens par la DREAL est très pauvre et il s’apparente plus à un document publicitaire qu’à un dossier d’information. Cela est particulièrement notable dans les pages 10 et 11 qui liste 8 pseudo-avantages mais aucun inconvénient. Le scénario alternatif ne bénéficie pas du même traitement ce qui nuit à une bonne évaluation par les citoyens.
Le problème majeur du changement climatique est évoqué en 2 pages le présentant comme une préoccupation croissante et non une évidence scientifique et sans citer les sources de la connaissance. Le problème de la perte de biodiversité est passé sous silence alors que c’est aussi une donnée scientifique à prendre en compte dans l’organisation de nos sociétés. Le milieu humain est décrit en 2 pages contenant surtout des photographies, le milieu naturel en 2 pages également. Les problèmes sont survolés, simplifiés, ce qui ne peut donner les éléments aux citoyens pour construire leur avis.
On trouve 4 pages sur le projet de LGV, alors que la ligne actuelle ne bénéficie que d’une demi page, ce qui amène une confusion et pourrait laisser penser que ce projet n’est pas définitivement abandonné.
Pour pallier cette pauvreté, la DREAL en a sorti quelques chapitres pour les ajouter à la liste des documents. Ces ajouts n’apportent aucun élément supplémentaire tout en donnant une impression de richesse documentaire.
Au moment d’apprécier l’opportunité du projet, on était en droit d’attendre une neutralité de l’Etat et de ses services instructeurs, la DREAL et la DGITM. Il n’en est rien, le dossier laisse une place bien plus importante à la solution autoroutière concédée qu’à l’alternative. On peut aussi s’étonner que la CNDP et ses garants n’aient pas demandé plus de neutralité dans la préparation de la concertation.
L’avis de l’Autorité Environnementale qui est mis à disposition s’appuie sur les pièces d’un dossier qui lui a été transmis le 9 août 2021. Ce dossier n’a été rendu public qu’au début du mois de février, sur demande des associations,
Quels enjeux pour demain ?
Nous avons l’impression d’être ramené 20 ou 30 ans en arrière, lorsqu’on pensait notre planète et ses ressources sans limites. Or nous savons maintenant que l’action de l’homme change dangereusement le climat, participe à une baisse importante de la biodiversité, que les ressources en énergie, en matières premières minières, sont limitées. La pandémie actuelle montre également toutes les faiblesses d’une économie mondialisée reposant sur des transports bon marché et que la multiplication des déplacements augmente les risques sanitaires.
Aucun de ces enjeux majeurs pour l’avenir de nos sociétés, de nos territoires n’est mis en avant dans le dossier mis à consultation, comme s’ils n’existaient pas ou étaient de seconde zone. Par contre la vitesse des échanges, l’incitation à l’étalement urbain, le développement du fret routier sont dans les motivations du projet. Il n’y a pas de prise de conscience des risques futurs et des situations catastrophiques qui leurs sont liées et donc de la nécessité de bâtir une société durable et adoptée aux réalités environnementales. Le dossier se contente d’observer les tendances actuelles et le projet d’autoroute a pour ambition de les prolonger, pas de les infléchir.
- Qu’est-ce qu’une autoroute ?
C’est un tuyau pratiquement étanche qui relie deux centres urbains. Son objectif est de faciliter les échanges entre ces deux centres, donc plus d’échanges et plus rapides. Les échanges se font dans les deux sens, le tuyau ne fait pas de distinction et n’a pas de préférence.
Remarquons que le tuyau n’a aucune prise sur les réservoirs qu’il relie. Il ne peut remplir l’un plus que l’autre, il est neutre vis à vis de la dynamique de chacune de ses extrémités. Le dossier de consultation constate : “ L’expérience montre que les infrastructures de transports seules ne suffisent pas à insuffler une nouvelle dynamique aux territoires.”
Le mythe du désenclavement
Au croisement de 3 routes nationales (RN141, 147, 121), d’une autoroute vers le nord et vers le sud, à proximité d’une autre nationale (RN145) voire de l’A89 vers l’est, Limoges dispose de nombreuses voies de liaison avec l’ensemble de la France. L’étoile ferroviaire est également particulièrement riche. Le terme de désenclavement n’est pas approprié et l’utiliser est abusif et trompeur. Il ne devrait pas être repris par la puissance publique et les services de l’Etat.
L’autoroute A20 a été construite pour « désenclaver » Limoges, même prétexte pour mettre la RN141 à 2×2 voies, mais l’impression reste. Après la construction de l’A147 la demande de mise à 2X2 voies de la RN21 sera-t-elle demandée pour désenclaver Limoges ?
Ce terme est d’ailleurs repris de manière de plus en plus absurde par les villes moyennes après la construction d’une infrastructure routière: il a fallu désenclaver Ambazac après la construction de l’A20 et le maire de Saint Yrieix demande à désenclaver sa commune. Magnac-Laval, Montmorillon reprendront-elles l’expression?
Pourquoi une autoroute concédée?
Les promoteurs de ce projet présentent trois raisons à ce choix:
1- la sécurité
2- le développement économique
3- diminuer le temps de trajet entre Poitiers et Limoges.
Sur les deux premières raisons, l’avis des chercheurs qui se sont penchés sur ces questions est que le nombre de décès est peu diminué d’une part, que une autoroute n’a qu’un impact marginal ou nul sur le développement économique. Ces points sont développés ci-après.
Quand au temps soi-disant gagné, il est automatiquement compensé par le temps de travail nécessaire pour gagner le montant du péage. Au tarif horaire du SMIC, il faudra une heure de travail supplémentaire pour les 14€ annoncés. De plus le temps gagné va inciter à plus de déplacements, en particulier pour les achats ou les activités culturelles, dont l’offre est plus importante dans les deux agglomérations de Poitiers et de Limoges. Cela représentera par une perte pour l’économie locale.
Conséquences économiques
Impact économique sur les agglomérations
Les élus et les décideurs économiques continuent d’affirmer qu’une autoroute apporte progrès et développement économique mais un simple tuyau ne peut être un élément de développement économique puisqu’il peut vider l’agglomération de Limoges autant que la remplir, même chose pour l’agglomération de Poitiers. Le rapport des services de l’État pour la construction de l’autoroute Pau-Langon -2005 écrivait « Les récentes études réalisées sur l’impact des grandes opérations d’infrastructure sur l’activité économique montrent en effet que celui-ci dépend du dynamisme du milieu considéré et de son aptitude à tirer le meilleur parti de l’amélioration des dessertes sans qu’il puisse être dégagé un lien direct et automatique entre les infrastructures et le développement économique… » Ce qui est déterminant, ce sont les atouts de l’une ou de l’autre et ces atouts ne changeront pas par la pose d’un tuyau1.
Le dossier constate, page 24, un plus grand dynamisme économique pour Poitiers, ajouté à l’évolution démographique : la Vienne a gagné 10 000 habitants de 2011 à 2019, la Haute-Vienne en a perdu 3 700 sur la même période. La construction du tuyau risque de renforcer cette tendance qui s’appliquera plus facilement au détriment de Limoges.
Les entreprises de Limoges, qui imaginent avoir accès à un marché plus large, seront aussi plus soumises à la concurrence d’entreprises de Poitiers, voire de Nantes. Il est possible que le bilan soit négatif et qu’elles perdent des marchés locaux.Notons enfin que le prix du carburant pourrait augmenter fortement car c’est une ressource non renouvelable ce qui pénaliserait les entreprises s’engageant dans des déplacements plus fréquents2.
Les échanges entre Limoges et Poitiers sont-ils si importants pour justifier ce projet ? Apparemment non puisque le trafic de véhicules légers entre Limoges et Poitiers ne représente que 4 % du trafic de la RN 147. Ce chiffre provient de comptages faits avant la crise sanitaire qui a vu augmenter considérablement le télétravail et les téléconférences, donc diminuer les besoins de déplacements entre les deux villes. On peut désormais, par exemple, envisager des cursus universitaires conjoints, suivis sans distinction depuis Limoges ou Poitiers.
Les études précédentes, depuis 40 ans ne signalent pas que la liaison Limoges Poitiers soit une liaison structurante pour la Haute-Vienne (voir le document Limousin 2007, publié en 1987, le SRADDT Limousin en 2011 le SRADDET(Schéma régional d’aménagement de Nouvelle-Aquitaine adopté en 2019 ). C’est encore plus vrai avec la création de la Nouvelle-Aquitaine qui déplace le centre de gravité de la région vers le sud-ouest. La décision de la CNDP d’organiser une concertation préalable signale que ce projet d’autoroute ne fait partie d’aucun plan ou programme nationaux ou régionaux, ce que confirme l’Autorité environnementale.
Même si la durée du parcours semble longue à certains décideurs économiques ou politiques, même si elle permettra d’apporter des contrats aux entreprises du BTP, cela ne peut justifier la construction de cette autoroute qui ne peut être considéré comme d’intérêt économique déterminant.
1https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2013-3-page-155.htm Explication de la croyance » Autoroute = économie » avec étude de cas
https://www.persee.fr/doc/geoca_1627-4873_2002_num_77_1_6259 Etude de l’A71
https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1993_num_22_3_3209 Démystification de l’effet structurants
2https://reporterre.net/L-Europe-a-dix-ans-pour-se-preparer-au-pic-de-petrole
Impact économique pour les territoires ruraux
Il est admis que l’autoroute n’amènera pas d’installation d’entreprises en milieu rural. Par contre, en diminuant le temps de parcours pour rejoindre les centres urbains, on rend plus attractifs les commerces de ces grandes agglomérations au détriment des commerces de proximité des villes moyennes situées le long de l’autoroute. Cela a été admis Il est même parfois cité que les zones d’achalandage des agglomérations seraient fusionnées.
L’expérience de la construction de l’A20 en Haute-Vienne , montre que de nombreux services de proximité (garages, commerces, hôtels-restaurants) ont disparu. Il n’est pas certain que le label « village étape » qui correspond à une concentration des commerces au détriment des autres communes, ait permis de compenser ces pertes d’emplois, il a juste permis à Bessines de conserver ses hôtels restaurants et ses garages.
S’imaginer que l’autoroute permettra une valorisation meilleure des productions du territoire c’est oublier que ce sera une bien plus une ouverture supplémentaire vers la mondialisation et l’arrivée plus facile des produits importés, au détriment des productions et des PME locales et de l’agriculture.
Si l’autoroute facilite l’accès aux zones rurales, il met aussi en concurrence les artisans des zones traversées avec ceux des deux métropoles. Comme pour les commerces, cette concurrence risque d’être défavorable aux petites entreprises. C’est tout le tissu économique des zones rurales qui sera fragilisé.
Ces éléments montrent que les territoires traversés ont beaucoup à perdre avec ce projet : une éventuelle augmentation de population en milieu rural ne pourra pas compenser la perte de richesse du territoire et l’appauvrissement de ses habitants.
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Agriculture
L’impact sur l’agriculture se compte à la fois sur la disparition de terres agricoles mais aussi sur la déstructuration de certaines exploitations. Les retours d’expérience montrent que les infrastructures de type autoroute ou route express n’ont aucun impact positif sur les conditions d’exploitation des entreprises agricoles.
Au vu du calendrier de réalisation, fixé de manière optimiste à 2030 mais probablement vers 2032, une bonne partie des agriculteurs auront pris leur retraite. L’autoroute n’apportera donc aucune solution pour l’installation de nouveaux agriculteurs.
Les mesures prévues consistent soit à mettre à disposition du monde agricole une somme d’argent visant à compenser la perte de revenu du secteur, soit en effectuant des échanges de parcelles, c’est à dire un remembrement pratique largement dénoncée à cause de ses impacts sur l’environnement, qui amènera un agrandissement des parcelles et la disparition des haies et talus bénéfiques pour la fertilité des terres. L’Autorité Environnementale a signalé cet impact négatif.
Si elle n’a pas d’avantages économiques significatifs, l’autoroute à péage a par contre bien des inconvénients. Une autoroute concédée est une déchirure du territoire, une barrière avec des conséquences aussi bien pour la biodiversité que pour les populations humaines.
Conséquences pour le cadre et la qualité de vie
Etalement urbain
L’autoroute sera une incitation à habiter encore plus loin des centres urbains de Limoges et de Poitiers. Cela ira à l’encontre des politiques actuelles qui incitent à réduire les distances domicile-travail. On augmente ainsi le budget déplacement des habitants alors que le prix des carburants augmentera sans doute plus que le coût de la vie.
Le dossier de concertation signale : Une révision des PLU devrait être anticipée afin de prévenir cet effet d’étalement urbain. L’arrivée de ces habitants en milieu rural augmentera l’artificialisation des sols au détriment des espaces agricoles et naturels. Comment les communes pourront elles respecter l’objectif affiché dans les documents d’urbanisme de densifier les centres-villes et de maîtriser l’expansion de l’habitat pavillonnaire et des zones d’activité et le principe « zéro artificialisation nette », décrit dans la loi Climat et résilience (extraits du dossier de concertation) et l’objectif 31 du SRADDET qui est de diviser par deux l’artificialisation d’ici 2030, soit seulement 2600ha par an pour l’ensemble de la région.
Extrait du SRADDET: ” Le phénomène d’étalement urbain et le développement de l’offre commerciale en périphérie dans des proportions qui dépassent bien souvent les besoins des habitants, nuisent gravement aux commerces de centre-ville et génèrent au final des friches économiques par un effet de concurrence exacerbée. Il est également à l’origine de la thrombose des axes routiers de nombreuses agglomérations.”
L’autoroute accentuera la tendance à vider les centres-villes, en particulier de Limoges et de Poitiers, à l’opposé des objectifs du SRADDET.
Impact démographique
Pour ce qui est du développement démographique, il ne faut pas compter sur un apport par cette autoroute. De nombreuses preuves en font foi, par exemple avec l’A20. Cette autoroute gratuite, n’a apporté aucun développement des zones rurales traversées. La population des communes de Argenton/Creuse, La Souterraine, Bessines, Pierre-Buffière, Saint-Germain les Belles, Magnac-Bourg, Masseret et Uzerche est passée de 20124 en 1990 à 19549 en 2019 soit une perte de pratiquement 3%. D’autres exemples peuvent être cités : Vierzon, au croisement de 2 autoroutes a perdu 170 habitants entre 2008 et 2018, depuis la construction de l’autoroute A65, Pau a perdu 4 000 habitants.
Transports
On peut constater que la circulation est assez fluide tout au long de la RN147, surtout en comparaison de ce qui se passe autour des grandes agglomérations Bordeaux, Toulouse ou Paris.Toutes les routes départementales et communales ne bénéficieront pas d’un ouvrage d’art pour franchir l’autoroute : certains parcours se verront allongés. Les chemins, en particulier les chemins d’exploitation agricoles seront coupés. Ce point a été relevé par l’Autorité Environnementale. La seule difficulté se situant à l’arrivée sur Poitiers.
Lors de la première réunion de présentation, il a été montré que l’autoroute présenterait une nouvelle option pour les échange
s de fret entre Toulouse et l’ouest de la France. Ce nouveau trajet va capter une partie des camions circulant sur l’A10 et la RN10 qui sont proches de la saturation. Cela confirme l’effet aspirateur à camion que représente ce genre d’infrastructure. Pourtant le dossier n’en fait pas état car ce n’est pas pris en compte dans la faible augmentation du nombre de camions donnée dans la page 59 du dossier de concertation . Cette augmentation va aussi compliquer la circulation non sur l’A20 au sud de Limoges et dans la traversée de la ville, déjà très chargée.
La pollution sera augmentée, en particulier à cause de l’augmentation des vitesses et du nombre de camions, mais aussi de l’augmentation des parcours et donc de la consommation de carburants. Le bruit devient aussi une nuisance plus importante qu’avec une route à circulation plus lente.
Il faut aussi noter que les 11 tronçons prévus à 2×1 voie, sur les ouvrages d’art, limités à 90km/h, seront autant de tronçons favorables aux ralentissements, en particulier lors des périodes de grande circulation. Cela diminuera d’autant le gain en temps de transport..
Lorsque la capacité de la voirie est accrue par la création d’une voie nouvelle ou l’élargissement d’une voie existante, on constate que l’infrastructure finit par attirer un trafic automobile supérieur à ce qu’avait prévu le modèle : de quelques pour cent à plus de 50 %, selon le contexte et l’horizon temporel. Les scientifiques parlent “ de trafic induit”2. L’autoroute augmentera les problèmes de circulation autour de Limoges et de Poitiers.
Impact sur le trafic ferroviaire
La construction de l’autoroute est un vrai danger pour l’avenir du train Limoges Poitiers. En fluidifiant le trafic, en diminuant les temps de parcours, l’offre ferroviaire devient moins attractive. On ne peut garantir que la volonté affichée de rénover la ligne se maintienne après 2030 compte tenu des difficultés des budgets publics et de la logique libérale dominante.
Ce projet sera aussi un frein au développement du ferroutage, qui est pourtant une solution envisagée dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) de la France.
Injustice sociale
Le coût du péage amènera un nombre important d’usagers à privilégier l’itinéraire de doublement. Cet itinéraire, moins performant que la RN147 actuelle, allongera le parcours, augmentera le coût pour les usagers et le risque d’accidents. En augmentant les consommations (vitesse plus élevée sur l’autoroute, parcours plus long sur l’itinéraire bis) le montant du budget transport des ménages va augmenter et parfois devenir insupportable.
Ce sont souvent les ménages ayant peu de moyens qui choisissent un habitat plus éloigné des grandes agglomérations à cause de son prix plus attractif Prix du péage, augmentation de la consommation donc de son coût, cela augmentera la fragilisation de nombreux ménages et une fracture sociale encore plus grande.
Le dossier de concertation reconnaît ce fait. Il y a une vrai discrimination sociale.
Conséquences pour la biodiversité
La biodiversité est l’autre grande perdante de la construction d’une autoroute. L’autorité Environnementale relève que l’analyse de l’état initial est incomplet et repose sur des études anciennes.
En premier lieu, l’artificialisation est estimée à 599 hectares. Ce chiffre paraît très faible comparé aux estimations faites pour la GPSO. Il ne tient sans doute pas compte de la phase des travaux ni de l’itinéraire bis qui devra être réaménagé. D’ailleurs, l’AE la chiffre à 800ha. C’est compter aussi sans les rétablissements des voiries coupées, Le dossier minimise cet élément ce qui est déloyal.
Un bouleversement du sol
Les terrassements nécessaires seront considérables mais le dossier oublie totalement l’impact qu’ils auront sur les sol:s 250 000m3 de terre au kilomètre de tracé3
Or le sol est le siège d’une grande partie de la biodiversité et contient plus de matière organique que la partie hors-sol. Cela concerne la macrofaune, les dizaines d’organismes visibles à l’œil nu comme les vers de terre, les araignées, les millepattes, – .la mésofaune, les collemboles ou encore les acariens – la microfaune / microflore qui constitue la plus grande majorité de cet écosystème, les nématodes, bactéries et champignons, que l’on compte par millions.
Ce sera une perte irremplaçable qui n’est pas concernée par la compensation.
Conséquences sur l’eau et les zones humides
Ces terrassements vont également déstructurer le cheminement de l’eau, aussi bien en surface qu’en profondeur. Si les écoulements de surface sont rétablis, il n’est sera pas de même sur les écoulements dans le sol, sur une profondeur qui peut dépasser plusieurs mètres, voire dizaines de mètres sur les portions en creux. En Haute-Vienne il n’existe pas de nappe phréatique. L’eau est stockée dans l’arène granitique, c’est-à-dire les premiers mètres du sol. Le bouleversement induit par les travaux va diminuer fortement la capacité de stockage, ce qui est une perte de ressource en eau pour les périodes de sécheresse.
On trouve, dans le fuseau sélectionné, 120 hectares de zones humides fonctionnelles on trouve plusieurs ZHIEP, Zones Humides d’Intérêt Écologique Particulier, et des ZSGE, Zones Humides Stratégiques Pour la Gestion de l’Eau. Compenser cette perte est impossible. Il faut de nombreuses dizaines années pour reconstituer une zone humide avec son cortège floristique et faunistique permettant un fonctionnement optimal en termes de gestion de l’eau.L’autorité environnementale a signalé, page 9 de son rapport, que l’enjeu zones humides était sous-estimé.
Une barrière infranchissable.
“Les infrastructures routières sont sources d’impacts importants sur les écosystèmes, amplifiés par la circulation. L’un des principaux réside dans la coupure des milieux naturels par le réseau routier qui nuit à leur continuité. Il gêne la circulation des espèces, morcelle leurs territoires et réduit les échanges entre écosystèmes. Les infrastructures font obstacle aux déplacements des animaux à la recherche de conditions favorables à leur reproduction ou à la survie des jeunes. Cela est vrai dès l’ouverture du chantier et s’intensifie avec le trafic” rapport de l’IFEN, 2006 4.
De nombreux corridors écologiques ont été identifiés entre Poitiers et Limoges lors de la réalisation des Schémas régionaux de cohérence écologiques réalisés pour les ex régions de Poitou Charentes et Limousin. Des corridors boisés et des corridors bocagers qui seront déstructurés par l’autoroute.
La barrière est annoncée à 25m de large en tenant compte d’un talus de 1m, mais elle sera plus importante de grillage à grillage. Les quelques passages envisagés pour la faune sont trop limités pour permettre une véritable continuité.. La largeur de la coupure ne permet pas une traversée par la flore.
Compte tenu de la vitesse, les collisions avec la faune seront plus nombreuses, en particulier la faune aérienne : oiseaux, insectes, chauves-souris.
Le dossier de concertation cite certaines espèces remarquables mais ne donne aucune indication sur l’impact sur la biodiversité ordinaire. Il faut rappeler que la notion de perte de biodiversité ne recouvre pas que la disparition de certaines espèces déjà fragiles mais aussi la baisse du nombre d’individus dans la plupart des communautés animales et végétales.
Ce projet est contraire aux objectifs de baisse de l’érosion de la biodiversité, affiché aussi bien au niveau national qu’au niveau régional.
Les mesures de compensation ne permettent jamais de rattraper la perte, en particulier parce que leur durée n’est pas égale à la durée d’utilisation de l’autoroute. Elles sont en général abandonnées au bout de 20 ans. La compensation ne peut être efficace que si elle permet une renaturation de surfaces artificialisées. Les 1300 ha prévus ne correspondent pas à ce scénario car ce ne sera pas une désartificialisation mais une intervention sur des surfaces agricoles ou naturelles dont on modifiera la qualité, notion sui mériterait d’être discutée.
Les retours d expérience de la LGV Tours-bordeaux sont sans appel : l’application formelle, strictement règlementaire, de la séquence légale ERC « Éviter, Réduire, Compenser » ne suffit ni à sauver les espèces et les habitats les plus stratégiques ni à créer ou restaurer des habitats équivalents.
Développement durable et politique climatique
Ce projet va à l’encontre de la construction d’une société durable pour les décennies et les générations à venir. Il débouche pratiquement sur l’abandon de la solution ferroviaire.
Tous les scientifiques traitant du Changement Climatique ou de la Perte de Biodiversité nous alertent sur le risque que ces phénomènes font peser sur nos sociétés. Un réchauffement de la Terre de 3,5°C, trajectoire actuelle pour la fin 2100, mettra en grand danger l’agriculture et l’alimentation des 9 milliards d’habitants prévus en fin de ce siècle. La perte de biodiversité est aussi un facteur déstabilisant pour l’agriculture, pour la forêt et notre environnement. Les rapports internationaux concluent tous à demander de changer le modèle de développement actuel. Les rapports scientifiques pour la Nouvelle-Aquitaine – Acclimaterra et Ecobiose – ont les mêmes conclusions.
Les gouvernements de la France depuis 20 ans ont pris des engagements internationaux. Des lois ont été votées pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre et nos consommations énergétiques, pour stopper l’érosion de la biodiversité, pour stopper l’artificialisation5 des sols.
Ce projet d’autoroute concédée est un projet qui prolonge les tendances actuelles, responsable de ces dérèglements. Il va augmenter les déplacements de personnes et de marchandises et la consommation d’énergie du secteur des transports. Et comment arriver à convaincre les citoyens de faire des efforts sur les économies d’énergie, de rapprocher leur domicile de leur lieu de travail alors que les pouvoirs publics les incitent à rouler plus vite et plus loin?
Bilan carbone
Pour tout projet, il est demandé de fournir un bilan carbone. Le dossier n’aborde pas cet aspect. La construction de l’autoroute va amener une consommation de pétrole importante, générateur de gaz à effet de serre.
Avec l’A147, la vitesse de pointe passera de 80 km/h à 130 km/h, ce qui va augmenter fortement les émissions de polluants (NOX, particules…), la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre. Certes, sur la N147, il y a des ralntissements qui augmentent la consommation de carburant, mais il y en aura aussi sur l’A147 à cause des 11 ouvrages qui seront franchis à 90 km/h. Rappel : la Convention citoyenne pour le climat demandait l’abaissement de la vitesse maximale sur autoroute de 130 à 110 km/h car c’est une mesure efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
La forte hausse des vitesses moyennes (de 64 km/h avec la N147 à 123 km/h avec l’A147, voir p. 59 du dossier) ne fera gagner du temps qu’à court terme. À long terme, on sait que ce « temps gagné » est en fait toujours utilisé pour aller plus loin : pour habiter plus loin, pour travailler plus loin, pour faire ses achats plus loin, pour se divertir plus loin… C’est ce phénomène bien connu qui est à l’origine de la périurbanisation (ce que reconnaît le dossier p. 22, sans en tirer ensuite les conséquences). L’A147 augmentera donc fortement les distances parcourues et à nouveau la pollution et les émissions de gaz à effet de serre.
Le dossier n’évoque jamais le « trafic induit » par l’autoroute. Pourtant, l’Autorité environnementale, un organisme de l’État, recommande d’en tenir compte (http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/190206_-_note_infrastructures_routieres_-_delibere_cle7d21bf.pdf). Ce trafic induit sera important, à cause des vitesses pratiquées bien plus élevées sur l’A147 que sur la N147. Il sera dû à la fois à la localisation plus lointaine des logements et des activités, comme on l’a vu ci-dessus, et à des déplacements nouveaux non envisageables sans l’autoroute. L’A147 sera bien « un aspirateur à voitures » (expression populaire pour nommer le trafic induit).
En prenant en compte les projections de trafic et de vitesses du dossier de concertation, et en intégrant les hypothèses d’amélioration de consommation des véhicules produites par le CEREMAi l est possible de comparer les émissions de gaz à effet de serre des différents projets avec la trajectoire souhaitable des accords de Paris : (https://doc.cerema.fr/default/digitalCollection/DigitalCollectionInlineDownloadHandler.ashx?parentDocumentId=20326&documentId=20627&_cb=20210720203547)
Ces projections ne sont absolument pas en faveur du projet autoroutier.
Le bilan carbone de ce projet est largement négatif.
Le dossier rappelle les engagements de la France en matière de climat. On pourrait rappeler les engagements de la Région dans le SRADDET et ceux des communautés de communes dans leurs PCAET. Ce projet va interdire l’atteinte de tous ces objectifs.
L’adoption de ce projet rendra moins crédibles les conseils donnés aux citoyens pour diminuer leur empreinte carbone puisque que les pouvoirs publics favorisent une solution augmentant les émissions de GES
Il est illusoire de s’imaginer voir, à l’horizon 2030 ou 2040, des véhicules électriques ou à hydrogène sillonner cette voie à 130km/h, comme d’ailleurs toutes les autoroutes de France. La quantité d’énergie primaire nécessaire serait phénoménale compte tenu des rendements énergétiques, même avec une technologie améliorée, à moins de construire des éoliennes et des parcs photovoltaïques dans toutes les communes du territoire, ou de multiplier par 2 le nombre de réacteurs nucléaires.
Qui va payer ?
Le coût du projet est affiché à 1 milliard d’Euros. Il y a plus d’exemples de budgets dépassés que de budgets tenus, il est donc raisonnable de penser que ce montant sera plus élevé, en particulier au vu de la situation actuelle qui montre de nombreuses vulnérabilité de notre économie (pénuries de matières premières et de produits manufacturés tributaires des échanges internationaux, renchérissement des coûts de transport etc….).
La partie publique de ce financement sera supportée par l’État et les collectivités mais le montage financier n’est pas défini. Tous les Français vont y participer, en Nouvelle-Aquitaine plus qu’ailleurs, les départements de la Vienne et de la Haute-Vienne encore plus. En effet, il y aura des crédits de l’État, de la Région Nouvelle-Aquitaine, des Départements et sans doute aussi des agglomérations de Poitiers et de Limoges. L’exemple du financement de la LGV Bordeaux-Toulouse sera-t-il suivi avec une participation forcée des communes et communautés de communes traversées ?
Il est annoncé que cette autoroute ne sera pas rentable au coût du péage annoncé. Les collectivités devront financer tous les ans le déficit. Le détail du calcul du taux de rentabilité n’est pas connu. Il prend en compte le temps gagné pour ceux qui empruntent l’autoroute, prend-il aussi en compte le temps perdu pour ceux qui resteront sur la RN147 (48 % des usagers) et le coût de la perte de biodiversité ? Il n’est pas cité le montant annuel des contributions des collectivités ni la durée pendant laquelle il leur faudra contribuer au déficit. Les finances des collectivités sont-elles si bonnes pour arriver à dégager ces montants ? Cet argent ne pourrait-il pas servir à d’autres causes, sociales ou environnementales?
Les non utilisateurs de l’autoroute la paieront quand même, les utilisateurs la paieront deux fois avec le péage.
Il est calculé une estimation de la rentabilité du projet sans indiquer la durée d’exploitation prise en compte. La date de 2070 semble trop lointaine pour accorder confiance en ces projections. Pour calculer la rentabilité on a monétisé le temps de déplacement mais pas la perte de biodiversité, ni les émissions de gaz à effet de serre.
L’incertitude sur cette estimation est considérable puisque la subvention d’équilibre peut varier de 449 à 771 Millions d’euros.
Le gain de temps affiché par rapport à la solution alternative est de seulement 28 minutes.
Le dossier met en avant la solution sans barrière de péage, diminuant l’emprise au sol et l’absence d’arrêt obligatoire. Il n’est pas dit comment les véhicules utilisant exceptionnellement cet autoroute, les véhicules étranger, dont les non Européens comme les Anglais, seront traités,
Sécurité
La sécurité routière est un critère important à prendre en compte. Il faut analyser objectivement les données mises à disposition plutôt que de simplifier l’analyse à un simple slogan.
Tout d’abord, il faut admettre que le risque d’accidents tient à de nombreux facteurs, pas seulement le profil de la route. Le nombre de véhicules est un critère de dangerosité, de même que la vitesse et le nombre de kilomètres parcourus. Le projet d’autoroute ne traite pas ces trois critères puisqu’il amènera à faire circuler plus de véhicules, augmentera les vitesses et les distances parcourues (trafic induit). Le dossier reconnaît d’ailleurs, page 41 , que la vitesse est une cause d’augmentation de la gravité des accidents.
Le rapport du CEREMA indique que les attentes envers les grandes infrastructures routières en termes de sécurité ne sont pas au rendez-vous. Cela ne remet pas en cause le fait de l’augmentation de la sécurité par ces aménagements mais permet de dire que l’argument sécurité ne peut être totalement déterminant pour faire le choix de ces infrastructures.
Deux zones ont été identifiées, ce sont sans doutes les seules zones où l’argument sécurité serait déterminant mais le fait que les pouvoirs publics n’ont pas considéré utile d’aménager la zone au nord de Bellac, dans la solution alternative proposée, montre que l’argument sécurité ne suffit pas à décider d’un nouvel aménagement routier.
Bilan économique, social et environnemental
Le modèle de développement qui a prévalu depuis ans a amené les difficultés que nous constatons dans notre région: perturbation du climat, perte de biodiversité, désertification des territoires ruraux, injustice sociale. Ce projet d’autoroute n’est pas une solution aux problèmes mais plutôt une aggravation.
Les alternatives
Dans la phase d’évaluation de l’opportunité du projet d’autoroute concédée, il ne faut pas se limiter à envisager une alternative mais plutôt une série d’alternatives
la meilleure alternative
La meilleure alternative est celle qui répond aux besoins des habitants du territoire, habitants actuels et habitants futurs. Le besoin d’aller de Limoges à Poitiers ou l’inverse est marginal (100 personnes/jour) par rapport aux déplacements du quotidien entre chaque agglomération et sa zone d’influence.
L’égoïsme qui consiste à faire passer ses intérêts actuels en validant l’affirmation « après moi le déluge » est insoutenable car effectivement c’est le déluge qui peut atteindre les générations futures, en 2021 les Allemands et les Belges en sont les premières victimes. Il faut une solution qui diminue fortement nos émissions de gaz à effet de serre, notre consommation d’énergies et qui permette aussi aux habitants une bonne qualité de vie.
La rénovation complète de la ligne SNCF actuelle, avec l’électrification, un cadencement élevé et une bonne disposition des arrêts permettra de couvrir une grande partie des besoins de déplacements. Cette solution diminuera le nombre de véhicules empruntant la RN147 ce qui pourrait rendre inutile un aménagement supplémentaire.
Cette rénovation doit s’accompagner de la mise en place de solutions de type Tram-train dont l’objectif est d’amener les voyageurs directement à l’intérieur des centres urbains de Limoges et Poitiers et qui ont déjà fait l’objet de pré-études.1
Le développement du ferroutage, annoncé d’ailleurs dans la SNBC, résoudrait aussi une grande partie des difficultés amenées par le trafic poids lourds.
1https://www.tramtrain-limousin.fr/projet-tramtrain-limousin/
une alternative intermédiaire
Tout en priorisant une rénovation de la ligne SNCF actuelle, des aménagements de la RN147 sont possibles. Ces aménagements se feraient sur les zones présentant des difficultés de circulation :
– les traversées de villages
– les zones de virages
– les zones à forte pente.
L’aménagement ne serait pas des sections à 2×2 voies mais 1+2 voies, séparées pour raison de sécurité.
Une amélioration de la RN145 complèterait cette solution. Cette option a été envisagée dans l’étude de concessibilité mais elle n’a pas été retenue. Cette amélioration permettrait aux camions de ne pas redescendre sur Limoges pour aller de La Croisière vers Poitiers et bouclerait l’axe Centre Europe Atlantique.
la plus mauvaise alternatives
C’est l’alternative proposée par le dossier mis en concertation. Cette alternative diminue faiblement les impacts environnementaux et conserve les inconvénients en matière d’étalement urbain et de consommation d’énergie. D’autre part le choix des créneaux de dépassement ne correspond pas aux zones où la circulation est plus difficile.
Son plus faible coût pour les collectivités et les usagers lui donne cependant un avantage décisif par rapport à l’autoroute concédée.
1https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2013-3-page-155.htm Explication de la croyance » Autoroute = économie » avec étude de cas
https://www.persee.fr/doc/geoca_1627-4873_2002_num_77_1_6259 Etude de l’A71
https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1993_num_22_3_3209 Démystification de l’effet structurants
2https://theconversation.com/pourquoi-supprimer-des-autoroutes-peut-reduire-les-embouteillages-171562
3file:///C:/Users/33645/AppData/Local/Temp/bilan_carbone_du_projet_etude_cerema_-_division_territoriale_est_-_laboratoire_regional_de_nancy.pdf
4https://www.ifsttar.fr/collections/BLPCpdfs/blpc__210_95-104.pdf
5 Version du 12/02/2022 page 7/13