Le bilan de la concertation préalable sur ce projetfait apparaître des questions de fond !
Suite à l’annonce de » la validation du projet » par le Ministre des transports avant son départ, certains ont voulu croire que cette déclaration valait quitus pour le lancement de l’autoroute A 147. Il serait prématuré de croire que ce projet, en décalage avec les enjeux de développement durable, va se réaliser. La concertation préalable qui s’est déroulée au premier trimestre de cette année a montré qu’on était loin d’un consensus sur ce projet et que les opposants étaient nombreux avec de sérieux arguments. Les garants de la concertation ont rendu leur rapport le 20 avril et ils ont constaté une mobilisation « impressionnante par son ampleur 1» au-delà des élus et des groupes politiques qui ont fait entendre leurs opinions et propositions. La diversité des arguments portés par la société civile, et leur niveau d’analyse de la problématique a permis d’élargir le débat d’idées au-delà de ce qui s’est exprimé dans les 11 réunions publiques.
Parmi leurs 9 recommandations2, nous attirons l’attention sur trois d’entre elles :
Recommandation n°2 : « les garants considèrent nécessaire d’éclairer avec la Région Nouvelle- Aquitaine les complémentarités possibles entre le rail et la route, en fonction des potentialités de la liaison ferrée Poitiers-Limoges de bout en bout, et aux 2 extrémités, et des investissements possibles. »
Recommandation n°4 : « Préciser et partager les modalités d’application de la loi d’orientation des mobilités (LOM) de décembre 2019 (et son 3ème objectif de diminution des émissions de gaz à effet de serre et de lutte contre la pollution et la congestion routière) et de la loi « Climat-résilience » d’août 2021 (objectifs de Zéro Artificialisation Nette des sols). »
Recommandation n°7 : « Définir des dispositifs associant plus fortement les « jeunes » (étudiants, jeunes actifs, en recherche d’emploi, etc.) dans la concertation continue. »
L’État doit maintenant se prononcer sur l’opportunité du projet . Une annonce de la « validation du projet » par J.B. Djebarri, ancien ministre des transports, a été publiée par quelques médias le 25 avril, avec le lancement d’études et d’une nouvelle phase de concertation. Il faut cependant attendre une confirmation et des précisions sur leur contenu de la part du nouveau gouvernement. Rien n’est définitif à ce jour et les déclarations en faveur de la transition écologique font au contraire penser que la réflexion va continuer en prenant en compte tous les enjeux d’avenir.
Limousin Nature Environnement, ALTERNATIBA, St Junien Environnement, ALDER, Les Amis de la Terre, Les Amis de la Confédération Paysanne, ATTAC 87, Terre de liens, La Fabrique citoyenne, CRI, Barrage Nature Environnement, TRAM TRAIN, Ecologie sociale 87, GMHL, LPO Limousin, ADUR
ANNEXES
Sur tous ces sujets, quelques unes des conclusions des garants font consensus et d’autres laissent ouvertes des questions de fond.
Quels sont-ils ?
>>> 6 points du coté consensus :
le fort sentiment d’insécurité routière et la nécessité d’améliorer rapidement la situation,
la nécessité de faire attention aux impacts environnementaux d’une autoroute,
le besoin d’une politique locale volontariste,
la nécessaire complémentarité des transports par le rail et par la route pour satisfaire les besoins de mobilité,
avoir un modèle de financement qui garantisse la mise en œuvre des solutions retenues,
et que l’État « sorte du cadre » jusque là adopté dans un projet dit « structurant » mais qui minimise les financements publics et présente des impacts territoriaux significatifs.
>>> 7 points du coté dissensus :
la solution autoroutière est-elle bien fondée en matière de compatibilité avec les engagements de la transition écologique, de modèle économique ?
La réalité de l’enclavement du territoire, en particulier pour l’agglomération de Limoges, au prix d’une artificialisation accrue d’espaces agricoles ou naturels,
Le clivage entre le monde économique, prêt à payer pour utiliser une voie rapide, et les habitants qui pour la plupart refusent le principe d’un péage jugé discriminant et trop élevé,
Les impacts du projet autoroutier sur l’agriculture (800 ha) suscitent beaucoup de méfiance,
Les impacts environnementaux réels posent des questions sur l’efficacité du système ERC et sur le respect des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre,
Les effets sur le cadre de vie entre les riverains de la N147 qui en subissent dès aujourd’hui les nuisances et les habitants des bourgs concernés par le futur tracé,
L’impact effectif d’une autoroute sur l’accidentologie et la létalité, en fonction de l’ampleur du report de trafic (il est envisagé que 30 % des poids lourds utilisent l’itinéraire de substitution gratuit).
Préambule : concertation préalable/ vrai débat public
La CNDP a fait le choix d’une concertation préalable pour le projet d’autoroute concédée Poitiers Limoges, sur une durée un peu inférieure à 3 mois.
Compte tenu
– du coût de ce projet, 1 milliard d’Euros, voire plus,
– des impacts qu’il aura sur l’environnement naturel par les 800 ha qu’il modifiera et sur les zones proches,
– du nombre de personnes concernées dans les deux agglomérations de Limoges et Poitiers et sur le territoire traversé, aussi bien par la construction que l’usage de l’autoroute,
– du nombre de personnes, peut être des milliers, qui seront touchées par une perte sur leur patrimoine foncier par achat ou expropriation,
– du nombre de personnes riveraines de l’itinéraire,
ce projet aurait dû faire l’objet d’un vrai débat public d’une durée de 6 mois.
Il faut saluer l’impartialité des garants de la concertation, l’amélioration du dossier qu’ils ont obtenue et leur attention à toutes les contributions et avis fournis par les participants à la concertation.
Dossier de concertation
Le dossier mis à disposition des citoyens par la DREAL est très pauvre et il s’apparente plus à un document publicitaire qu’à un dossier d’information. Cela est particulièrement notable dans les pages 10 et 11 qui listent 8 pseudo-avantages mais aucun inconvénient. Le scénario alternatif ne bénéficie pas du même traitement ce qui nuit à une bonne évaluation par les citoyens.
Le problème majeur du changement climatique est évoqué en 2 pages le présentant comme une préoccupation croissante et non une évidence scientifique et sans citer les sources de la connaissance. Le problème de la perte de biodiversité est passé sous silence alors que c’est aussi une donnée scientifique à prendre en compte dans l’organisation de nos sociétés. Le milieu humain est décrit en 2 pages contenant surtout des photographies, le milieu naturel en 2 pages également. Les problèmes sont survolés, simplifiés, ce qui ne peut donner les éléments aux citoyens pour construire leur avis.
On trouve 4 pages sur le projet de LGV, alors que la ligne actuelle ne bénéficie que d’une demi page, ce qui amène une confusion et pourrait laisser penser que ce projet n’est pas définitivement abandonné.
Pour pallier cette pauvreté, la DREAL en a sorti quelques chapitres pour les ajouter à la liste des documents. Ces ajouts n’apportent aucun élément supplémentaire tout en donnant une impression de richesse documentaire.
Au moment d’apprécier l’opportunité du projet, on pouvait attendre une neutralité de l’Etat et de ses services instructeurs, la DREAL et la DGITM. Il n’en est rien, le dossier laisse une place bien plus importante à la solution autoroutière concédée qu’à l’alternative.
L’avis de l’Autorité Environnementale, qui est mis à disposition du public, s’appuie sur les pièces d’un dossier qui lui a été transmis le 9 août 2021. Ce dossier n’a été rendu public qu’au début du mois de février. D’autres documents ont été ajoutés fin février. L’information du public a donc été variable suivant la période à laquelle il a consulté le dossier.
Dans la phase d’évaluation de l’opportunité du projet d’autoroute concédée, il ne faut pas se limiter à envisager une alternative mais plutôt une série d’alternatives
1- la meilleure alternative
La meilleure alternative est celle qui répond aux besoins des habitants du territoire, habitants actuels et habitants futurs. Le besoin d’aller de Limoges à Poitiers ou l’inverse est marginal (100 personnes/jour) par rapport aux déplacements du quotidien entre chaque agglomération et sa zone d’influence.
L’égoïsme qui consiste à faire passer les intérêts actuels en validant l’affirmation « après moi le déluge » est insoutenable car effectivement c’est le déluge qui peut atteindre les générations futures, en 2021 les Allemands et les Belges en sont les premières victimes. Il faut une solution qui diminue fortement nos émissions de gaz à effet de serre, notre consommation d’énergies et qui permette aussi aux habitants une bonne qualité de vie.
La rénovation complète de la ligne SNCF actuelle, avec l’électrification, un cadencement élevé et une bonne disposition des arrêts permettra de couvrir une grande partie des besoins de déplacements. Cette solution diminuera le nombre de véhicules empruntant la RN147 ce qui pourrait rendre inutile un aménagement supplémentaire.
Cette rénovation doit s’accompagner de la mise en place de solutions de type Tram-train dont l’objectif est d’amener les voyageurs directement à l’intérieur des centres urbains de Limoges et Poitiers et qui ont déjà fait l’objet de pré-études.1
Le développement du ferroutage, annoncé d’ailleurs dans la SNBC, résoudrait aussi une grande partie des difficultés amenées par le trafic poids lourds.
2- une alternative intermédiaire
Tout en priorisant une rénovation de la ligne SNCF actuelle, des aménagements de la RN147 sont possibles. Ces aménagements se feraient sur les zones présentant des difficultés de circulation :
– les traversées de villages
– les zones de virages
– les zones à forte pente.
L’aménagement ne serait pas des sections à 2×2 voies mais 1+2 voies, séparées pour raison de sécurité.
Une amélioration de la RN145 compléterait cette solution. Cette option a été envisagée dans l’étude de concessibilité mais elle n’a pas été retenue. Cette amélioration permettrait aux camions de ne pas redescendre sur Limoges pour aller de La Croisière vers Poitiers et bouclerait l’axe Centre Europe Atlantique.
3- la plus mauvaise alternatives
C’est l’alternative proposée par le dossier mis en concertation. Cette alternative diminue faiblement les impacts environnementaux et conserve les inconvénients en matière d’étalement urbain et de consommation d’énergie. D’autre part, le choix des créneaux de dépassement ne correspond pas aux zones où la circulation est la plus difficile.
Son plus faible coût pour les collectivités et les usagers lui donne cependant un avantage décisif par rapport à l’autoroute concédée.
Le coût du projet est affiché à 1 milliard d’Euros. Il y a plus d’exemples de budgets dépassés que de budgets tenus, il est donc raisonnable de penser que ce montant sera plus élevé, en particulier au vu de la situation actuelle qui montre de nombreuses vulnérabilités de notre économie (pénuries de matières premières et de produits manufacturés tributaires des échanges internationaux, renchérissement des coûts de transport etc….).
La partie publique de ce financement sera supportée par l’État et les collectivités mais le montage financier n’est pas défini. Tous les Français vont y participer, en Nouvelle-Aquitaine plus qu’ailleurs, les départements de la Vienne et de la Haute-Vienne encore plus. En effet, il y aura des crédits de l’État, de la Région Nouvelle-Aquitaine, des Départements et sans doute aussi des agglomérations de Poitiers et de Limoges. L’exemple du financement de la LGV Bordeaux-Toulouse sera-t-il suivi avec une participation forcée des communes et communautés de communes traversées ?
Il est annoncé que cette autoroute ne sera pas rentable au coût du péage annoncé. Les collectivités devront financer tous les ans le déficit. Le détail du calcul du taux de rentabilité n’est pas connu. Il prend en compte le temps gagné pour ceux qui empruntent l’autoroute, prend-il aussi en compte le temps perdu pour ceux qui resteront sur la RN147 (48 % des usagers) et le coût de la perte de biodiversité ? Il n’est pas cité le montant annuel des contributions des collectivités ni la durée pendant laquelle il leur faudra contribuer au déficit. Les finances des collectivités sont-elles si bonnes pour arriver à dégager ces montants ? Cet argent ne pourrait-il pas servir à d’autres causes, sociales ou environnementales?
Les non utilisateurs de l’autoroute la paieront quand même, les utilisateurs la paieront deux fois avec le péage.
Il est calculé une estimation de la rentabilité du projet sans indiquer la durée d’exploitation prise en compte. La date de 2070 semble trop lointaine pour accorder confiance en ces projections. L’incertitude sur cette estimation est considérable puisque la subvention d’équilibre peut varier de 449 à 771 Millions d’euros.
Le gain de temps affiché par rapport à la solution alternative est de seulement 28 minutes.
La mise à disposition du concessionnaire des tronçons entièrement financés par de l’argent public amène des interrogations sur les relations public-privé. Que vont penser les personnes utilisant ces tronçons gratuits lorsqu’ils devront payer pour le même trajet?